Saint Gervais et le Val Monjoie vus par les écrivains

Saint Gervais et le Val Montjoie sous le regard de quelques écrivains du passé

Un gros village, devenu une grande station touristique, mais aussi une vallée historique, marquée tant par une habitation continue que par un intense passage depuis l’époque romaine, c’est bien ce double aspect qui en rend depuis longtemps la fréquentation si attrayante.

Une vallée étudiée par des historiens et fréquentée par quantité de voyageurs : voilà qui nous engage à mieux la connaître en nous servant du regard de quelques hommes d’écriture conquis par ses charmes.

Allons chercher dans trois ouvrages dont les auteurs eurent leur temps de notoriété :

« Mont Blanc aux sept vallées » de Frison Roche (avec photographies de Pierre Tairraz). Dois je dire « l’ouvrage est vieux de 54 ans », ou : « c’est un livre encore actuel, il n’a que 54 ans » ? A vous de juger ! Le temps passe plus vite pour l’homme que pour la succession des générations, des évènements, des changements culturels.

« Alpes de France – Savoie » de Maurice Paillon, grand livre-album où Saint Gervais n’occupe qu’une petite place, mais qui a gardé pour nous tant sa belle allure que le charme d’une époque qui s’estompe : 1938.

« Voyages en zigzag » de Rodolphe Toepffer, un étonnant maître d’école qui, dans le milieu du 19ème siècle, emmenait sportivement et rustiquement ses étudiants sur les chemins de hautes vallées de montagne en Suisse comme en France.

Il était plein de bon sens, de franchise, et parfois d’humour aiguisé.

« Des 7 vallées du Mont Blanc, écrit Frison Roche, une seule débouche librement dans la plaine. Elle porte un joli nom : « la vallée de Montjoie ». Y court un fougueux torrent : le Bonnant » (c’est à dire la bonne rivière).

« Le Val Montjoie, écrit André Puiseux, (montagnard et géographe cité par Maurice Paillon), est la plus fraîche, la plus verdoyante, la plus ombreuse des vallées savoyardes, une perle dans l’écrin si riche des Alpes, avec ses forêts, ses pâturages, ses petits villages coquets brillant ça et là au soleil. Sa double exposition est – ouest, sa rive droite abritée du nord par les 4000 de la chaîne du Mont blanc, sa rive gauche abritée des vents du sud ouest et qui ne lui coupe pas les rayons du soleil expliquent cette intense végétation, tandis que les névés et glaciers du Mont Blanc y ajoutent tout leur attrait. »

C’est en parcourant maintenant le Val Montjoie du nord vers le sud que nous allons suivre  « le chemin bimillénaire, la voie alpine qui joignait la Transalpine à la capitale des Césars par les cols du Bonhomme, de la Seigne et la vallée d’Aoste. »

Cette même voie a fait communiquer pendant plusieurs siècles les Allobroges peuplant le Faucigny côté nord et les Ceutrons habitant la Tarentaise au sud.

Le Bonnant, qui a creusé sa gorge dans d’anciennes moraines, en aval de Saint Gervais, coule tout en bas le long de l’établissement thermal du Fayet. Une belle route proche amène jusqu’au village. Selon Rodolphe Toepffer, « les Bains de Saint Gervais sont un séjour de malingres communément très bien portants, mais nous y sommes traités pour peu d’argent tout à fait bien » Mais, « si l’on veut s’élever jusqu’à Saint Gervais sans suivre les contours de la route, il faut prendre un petit traître de sentier qui a beau être ombreux et fleuri, au bout de cent pas le plus refroidi des particuliers se trouve rincé de sueur et ruisselant comme un parapluie. On devrait envoyer là tous ceux de qui les pores fermés ou mal ouverts ont besoin d’être élargis et transformés en tuyaux de fontaine : en trois montées, ils seraient guéris. »

Nous voici au bourg. Frison Roche écrit : « La petite paroisse suspendue dans une position inconfortable au dessus du Bonnant afin de ménager la plus grande partie possible à la culture et au pâturage est devenu un beau et grand village ».

Et maintenant, ajouterons nous, le nouveau pont au dessus du Bonnant permet de contempler sereinement et de haut les « sublimes horreurs » des gorges.

Saint Gervais, insiste Frison Roche, se réclame du Mont Blanc. La bourgade a participé étroitement aux luttes pour sa conquête. C’est par ce côté de notre sommet national que fût ouverte la voie royale qui est et reste la voie normale d’ascension, dédiée à un immense succès de fréquentation que la commune a actuellement bien du mal à maîtriser.

Frison Roche commente encore ainsi : « Une vieille rivalité oppose Saint Gervais à Chamonix, que rien n’atténue. Allez dire aux gens de Saint Gervais que le Mont Blanc n’est pas chez eux ! La raison donnée qu’on ne le voit pas du village à l’exception des pentes glaciaires des Miages n’en est pas une ! Ceux qui ont fait la fortune de Saint Gervais sont les descendants d’une lignée de montagnards et de guides qui ont toujours cru en la permanence du Mont Blanc. »

Peut on encore retrouver aujourd’hui « l’âme farouche et indépendante » dont parle Frison Roche à propos de ses habitants d’autrefois, «avant que cette même âme soit policée par le contact grandissant des voyageurs » ?

Dans ce Val Montjoie, « le climat plus doux, la forte présence du soleil, les prés bois, les pâturages, les pentes skiables de sa rive gauche apportent une incontestable note de douceur. » (Paillon )

« Le site est plus riant, moins grandiose peut être qu’à Chamonix ou Courmayeur. L’homme est encore accroché au Mont Blanc, mais sans être obsédé par les hautes cimes .» .(Frison Roche )

Des nombreux belvédères qui entourent la vallée, et déjà du Bettex ou du très ancien village de Saint Nicolas de Véroce,

l’œil peut admirer en toute quiétude « la chaîne suffisamment proche pour être détaillée, suffisamment distante et irréelle pour être accommodée à sa propre vision intérieure . »

Le Prarion, le Mont Joly sont « ces hautes marches » permettant des vues prestigieuses et souvent très étendues, incitant à un profond respect des paysages dont nous avons hérité.

Comme Toepffer, nous aurons quitté Saint Gervais après avoir rendu visite aux Cheminées des Fées, curiosités géologiques issues d’un terrain glaciaire et morainique, mais aussi, qui sait, après avoir « rendu visite à la dernière boutique. L’on s’y approvisionne donc de citrons, de sucre, d’eau de vie, de ficelle et de pain chaud. Ah ! si vous ne devinez pas ce qu’ont d’agrément ces menues emplettes, ce que vont leur donner de valeur les heures, le dénuement,le désert, il faut que vous soyez un de ces malheureux qui, pour n’avoir jamais manqué de rien, ne savent le prix de rien, qui, pour ne s’être jamais écartés des relais et hôtelleries, ignorent le doux plaisir que c’est de remplir sa gourde à la dernière fontaine. »

En avançant dans le Val Montjoie, nous voyons vers l’est « la pyramide de l’Aiguille de Bionnassay qui domine la forme parfaite du haut col de Miage, porte grandiose vers l’Italie. » Et les glaciers – hélas moins développés qu’autrefois – de Covagnet et d’Armancette « brillent au soleil couchant de mille feux célestes au dessus de la vallée. »

Aux Contamines, le Val Montjoie s’élargit. En 1960, la vie paysanne traditionnelle : fauchage et descente des foins, élevage…. est encore très présente. La contrebande, avec l’Italie proche, vient tout juste de disparaître.

Au-delà des Contamines, écrivait Toepffer il y a plus de 150 ans, « la contrée est inhabitée, solitaire, druidique, assez à cause de la noirceur rapprochée des forêts. »

Deux bons kilomètres au-delà de ce dernier village, « au pied de pentes forestières abruptes et dans un site mélancolique,

se dissimule la chapelle de Notre Dame de la Gorge, très ancien lieu de pèlerinage, oratoire de style baroque et richement orné de dorures, dans le style de la Savoie religieuse. » (Frison Roche)

Divers lieux succèdent à la Gorge, au fil d’une longue montée :

C’est à l’auberge de Nant Borrant (sûrement pas aux standards actuels !) que couchent Toepffer et ses étudiants avant de repartir le lendemain à l’aurore. « A cette heure très matinale et presque à jeun, que c’est morne de s’acheminer contre des gorges vides et des pentes nues ! C’est alors qu’on se replie sur soi même et qu’on s’interroge sur la qualité du plaisir que l’on s’est choisi. Mais il faut aller, il faut poursuivre, et c’est en quoi consiste l’heureux, le souverain de la chose.

Un peu de marche, tout s’éclaircit ; un coup de tonnerre, tout tressaille ; au bout d’une heure, tout est redevenu, quels que soient les caprices du ciel, ou bien quiétude ou bien réjouissance ; dans tous les cas : impression, mouvement et vie . »

Nous rencontrons plus loin « une grande zone d’aulnes verts, surmontée de conifères, d’où l’on aperçoit encore en se retournant les Miages et Tré la Tête. L’hostellerie de la Balme, bâtiment qui n’est pas issu du dernier cabinet d’architecte,

évoque pour Frison Roche (et pour nous aussi ?) « les temps historiques de l’alpinisme .»

Le Val Montjoie « s’insère maintenant entre le chaînon du Mont Tondu et les aiguilles de la Penaz. »

Voici le Plan Jovet, d’où un chemin conduit « vers deux beaux lacs de montagne où s’abreuvent les chamois. »

Un peu plus loin le « plan des Dames », où un immense tas de pierres suscite le mystère : tombe de deux dames péries dans la tourmente ? antique lieu de culte sur l’emplacement d’un temple dédié à Mercure ? Ce n’est pas encore tranché à ce jour…

Enfin voici le col du Bonhomme (2329m.), ce Bonhomme ne trouvant son origine que dans la vision d’un rocher caractéristique par un ancien berger. Nous abordons maintenant la Savoie.

« Mais ce n’est que le premier col ! (écrit Toepffer). Suit une hasardeuse traversée. Le plus dangereux endroit du passage dans le mauvais temps est un sentier en corniche qui coupe obligatoirement des pentes plutôt sauvages que bien terribles à voir. Avant de s’y engager, l’on admire en se retournant une vue d’un grand caractère. C’est, dans un encadrement de rochers, les contreforts du Mont Blanc dont les majestueuses arêtes se découpent de profil les unes sur les autres, et tandis qu’en face le Buet élève dans les cieux son dôme argenté, non loin, le lac Jovet coupe du tranquille niveau de son eau profonde les lignes tourmentées d’une montagne sourcilleuse. »

« Nous arrivons au sommet du col supérieur » (2479m.) : donc juste au dessus de l’actuel refuge de la Croix du Bonhomme.

De ce col part une montée facile et hautement recommandable en direction du col des Fours. Toepffer, encore bien empreint d’un romantisme très 19ème siècle, écrit : « Ce spectacle a sa beauté, mais il est saisissant de tristesse et d’abandon,

Et en vérité l’on est bien aise d’être vingt cinq pour en jouir, plutôt que d’avoir à le contempler tout seul, assis au frais sur un bloc de névé. » Mais nous vous comprenons, Monsieur Toepffer ! Ce jour là, tout était voilé et gris du côté du Mont Blanc…

Quant à nous, cher lecteur, si vous avez eu la patience de nous suivre jusqu’ici, – un peu au-delà donc de l’extrémité du Val Monjoie – à cette Tête Nord des Fours (2756m.) qui en domine cependant toute une partie, nous vous laissons maintenant faire osciller votre regard entre la bonne et vénérable table d’orientation installée en ce lieu et les grandioses sommets garnissant l’horizon.

Avec le souhait que l’heure passée en ce site d’altitude soit bien ensoleillée, et votre bonheur enrichi par ces quelques jolies proses d’écrivains dans la manière de l’époque

Gérard de COUYSSY