LE PONT DU DIABLE

Derrière l’ouvrage construit en 1876 se cache l’étrange histoire d’un curé qui rencontra le Diable en personne.

index Saint-Gervais-les-Bains, vaste commune de 1756 âmes en 1860, lors de la signature du traité de Turin et le rattachement de la Savoie à la France, ne suscite pas engouement des voyageurs, car le village est coupé en deux. Il fallait à l’époque faire un détour de plus de dix kilomètres pour rejoindre l’autre rive. Le passage sous l’administration française est un vrai bouleversement. L’empire n’est pas avare d’effort pour améliorer les infrastructures de la Savoie : routes nouvelles, construction d’école et de bâtiment public.

C’est lors du voyage impérial en août 1860 que la route venant de Megève et traversant Saint-Gervais-les-Bains est envisagée. Après plusieurs années d’études, celle-ci est programmée dès 1868 et devra franchir le torrent du Bonnant. On projette de franchir la gorge en jetant cette grande arche voûtée d’une seule portée de 60 m. Le pont a une hauteur de 62 m. La voûte de plein cintre offre une ouverture de 37 m.

Construit en granit, ce chantier titanesque pour l’époque prendra plusieurs années. Amorcé sous l’Empire en 1873, le pont sera achevé en 1876 sous la IIIe République et sera très vite nommé le pont du Diable. En France, plus de 300 ouvrages portent le nom de pont du Diable et la plupart ont leur légende. Il existe plusieurs variantes pour celle de Saint-Gervais-les-Bains, donc celle-ci. Autrefois, il n’y avait pas de pont sur le Bonnant. Le curé réfléchissait chaque jour aux inconvénients qui résultaient de cet état de fait, si nuisible à ses ouailles de la rive gauche, qu’il ne pouvait atteindre. Un soir, un étranger se présenta à la porte du presbytère. Il lui dit à brûle-pourpoint : « Je vous offre de bâtir en une seule nuit un pont sur le Bonnant. » « Mais qui diable êtes-vous ? » répondit le prêtre, surpris. « C’est moi-même », rétorqua le personnage, en s’inclinant. Le curé fit le signe de la croix, tandis que Satan grimaça singulièrement. « Que voulez-vous pour cela ? », demanda le curé, peu rassuré. « Je demande que l’on m’accorde la première créature vivante qui passera sur le pont. » Le marché fut conclu et signé sur un parchemin aux marques infernales, et le Diable se retira. Le lendemain, le pont était construit. Le curé arriva, portant quelque chose sous sa soutane. Une foule émerveillée le suivait. Il s’avança sur le pont et y lança, avec force, un superbe chat que le Diable happa avec des rugissements de colère. Ainsi fut fait et le brave curé put enfin réunir tout son peuple de ce côté de la rive.

FRED MANNEVEAU